France Gall, Gilbert Bécaud, Mireille Mathieu, Françoise Hardy, Charles Aznavour, Sylvie Vartan, et bien d’autres… La liste de ces stars françaises à avoir fait carrière Outre Rhin dans les années 1960 est longue et semble l’être plus encore au fil de mes recherches. Encore au début de mon projet sur les échanges et enchevêtrements de musique populaire en Europe, j’ai décidé de commencer par partir sur les traces de ces stars de la chanson française en Allemagne. Mon objectif : réaliser une étude systématique de la présence française sur la scène musicale allemande de 1956 à 1974.
Dans cette première étape de mon travail, j’ai choisi d’étudier les magazines, les émissions télévisées et les émissions radiophoniques dans les deux Allemagne. La liste des sources à consulter est conséquente. Pour les émissions télévisées et radiophoniques, le système fédéral allemand ne permet pas de se rendre en un seul lieu, comme à l’INA en France, où toutes les archives des studios de télévision et de radio nationales sont recensées. Il est nécessaire d’aller dans les archives des stations radiophoniques et télévisées régionales pour obtenir des informations sur les programmes.
Jusqu’à maintenant, j’ai eu la possibilité de consulter les archives du Südwestrundfunk (SWR) (anciennement SDR et SWF) à Baden-Baden et de la Radiodiffusion Sarroise (SR) à Sarrebruck. Dans les années 1960, ces deux stations (qui produisent aussi bien des émissions télévisuelles que radiophoniques) avaient encore une relation très étroite avec la France des suites de l’occupation française après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces liens se retrouvent dans les émissions qu’elles diffusent, comme par exemple l’émission télévisée franco-allemande Rendez-vous sur le Rhin, produite dans les studios de Baden-Baden et diffusée dans les deux pays. À partir de 1967, cette émission prendra le nom d’Europarty et fera participer d’autres pays européens à sa réalisation tels que la Suisse, l’Autriche, la Belgique mais aussi l’Espagne. Dans ces émissions présentées à la fois en français et en allemand par Albert Raisner, des stars de chaque pays sont présentes et accèdent à un nouveau public, au-delà des frontières nationales. Ce public n’est pas uniquement jeune, puisque comme le montre les études d’audimat et les lettres de téléspectateurs, des centenaires regardent également ces émissions – une grande fierté pour Albert Raisner.
Dans le domaine de la radio, l’émission sarroise « C’est ça qu’on chante en France », puis « Chansons de Paris », modérées par Pierre Séguy, est suivie par de nombreux Allemands en RFA et atteint également un public en RDA. Diffusée la nuit sur onde moyenne, cette émission a pour but de faire connaître la chanson française en Allemagne. Le style de l’émission et les nombreuses lettres d’auditeurs montrent que celle-ci s’adresse à un public francophile, déjà sensible à la langue française.
Une étude prochaine des programmes des émissions régulières pour jeunes des différentes radios et chaînes télévisées allemandes permettra de mieux cerner l’étendue de la présence des chanteurs et chanteuses français·e·s en Allemagne. De même que l’étude des hit-parades qui est également en cours. Il a déjà été possible d’analyser le hit-parade du magazine Musikmarkt qui montre une présence française régulière entre 1963 et 1976, notamment à travers certaines chanteuses yé-yés (France Gall, Françoise Hardy, Mireille Mathieu) et chanteurs francophones (Salvatore Adamo, Sacha Distel). D’autres hit-parades, comme celui de BRAVO sont en cours d’analyse.
Du côté des magazines allemands, les chanteurs français ne sont pas en reste. Parmi les magazines étudiés (BRAVO et Twen pour la RFA, Das Magazin et Neues Leben pour la RDA), les chanteurs français ont une présence non négligeable, notamment en RFA où l’internationalisation de la scène musicale est plus importante. Ainsi, Françoise Hardy, France Gall et Mireille Mathieu font l’objet de nombreux et longs articles de 1963 à 1969, chacune représentant un type particulier de jeune fille française : la première, française mélancolique et nonchalante, la seconde, brave fillette à la mode, et la troisième, nouvelle Edith Piaf.
Du côté de la RDA, les yé-yés tels que Françoise Hardy et France Gall ne trouve aucun écho. De la nouvelle génération de chanteurs français, seule Mireille Mathieu arrive à percer à l’Est. Ce sont en effet les chanteurs et chanteuses « à texte », en général plus âgés, comme Juliette Gréco, Charles Aznavour et Gilbert Bécaud qui arrivent à se frayer une place sur la scène musicale très contrôlée en l’Allemagne de l’Est. Là encore, une étude plus poussée des articles de ces magazines doit être livrée dans les mois à venir.
Cet été fut donc enrichissant, riche en découvertes et propice aux questionnements et réflexions. Il a permis de voir se dessiner des pistes de recherche pour suivre au plus près les traces des chanteurs français en RDA et RFA dans les années 1960. Certains champs d’analyse se sont ouverts, qui permettront d‘éclairer les échanges transnationaux en matière de culture populaire musicale dans les « longues » années 1960.
Maude Williams