C’est avec beaucoup de plaisir que notre groupe de recherche a accueilli Florence Tamagne, Maîtresse de Conférence à l’Université de Lille, lors de notre dernier workshop à l’Université de la Sarre, les 21 et 22 mars 2019.
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En plus de sa participation à quelques-uns de nos ateliers, Florence Tamagne a présenté le fruit de ses recherches sur l’histoire des festivals, dans le cadre de notre workshop, dédié cette fois aux tensions entre le populaire et le politique, lors d’une communication intitulée « Rock et Politique en Europe. L’exemple des festivals « pop » et « rock » en France, Grande-Bretagne et Allemagne (années 1960 et 1970) ».
Les premiers festivals apparaissent aux Etats-Unis et en Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et se développent au cours des années 60 et 70, et, pour Florence Tamagne, ces organisations de festivals en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne, sont de bons exemples de transferts culturels entre ces trois pays européens, avec, toutefois, une influence américaine qu’elle souligne. Elle insiste néanmoins sur l’importance des traditions nationales dans le développement des festivals, pas tant dans les artistes invités, que dans les conditions d’organisation et les réponses des pouvoirs publics. En France, par exemple, les interdictions et annulations de festivals sont particulièrement nombreuses, et le premier festival commercial prévu se voit annulé et doit être organisé à la frontière belge.
La presse, en particulier la presse musicale et la presse contre-culturelle, se fait un acteur essentiel de la circulation et de la médiatisation des festivals « pop » et « rock », avec de nombreux articles, compte-rendus, et témoignages, sur ces événements, ainsi que sur les films et documentaires qui orbitent autour. La radio joue également un rôle, puisque la station périphérique Europe n°1 organise le premier festival gratuit (même s’il n’en porte pas le nom) en juin 1963, « La Nuit de la Nation », qui réunit une foule considérable à Paris, et que la station RTL sponsorise le festival « Popanalia », organisé à Biot (dans le Sud de la France) en août 1970. Ces deux exemples révèlent toutefois l’un des axes relevés par Florence Tamagne, à savoir les tensions entre le caractère originel de nombreux festivals, proches de la mouvance hippie, et l’aspect commercial qui apparaît également. Plusieurs de ces événements sont en effet des entreprises lucratives avant tout, ce qui induit des conditions d’organisation parfois désastreuses. Malgré ces déboires, les festivals, gratuits comme commerciaux, rencontrent un certain succès, en particulier en Grande-Bretagne, où les événements sont plus nombreux, et connaissent une fréquentation plus importante, que dans les pays voisins. Outre les critiques qui débouchent des déboires organisationnels, c’est la nature même des festivals commerciaux qui le vecteur de nombreuses critiques et d’appels au boycott de groupuscules plus radicaux, comme le FLIP (le Front de Libération Internationale de la Pop), qui dénoncent une « récupération », et une perte de « l’âme hippie ».
La question de la politisation (ou non) des festivals est une autre des tensions relevées par Florence Tamagne dans sa communication. Pour cette spécialiste d’histoire culturelle, il est difficile de répondre simplement à cette interrogation. D’une part, il y a une présence évidente du politique dans ces événements populaires, à travers les prestations d’artistes engagés, ou bien à travers les actions de groupes radicaux. Le festival de Windsor en 1970 est un événement à forte connotation politique, puisque son créateur appelle à la récupération des terres appartenant à la couronne britannique. Organisé, en toute illégalité, à côté d’un haut-lieu de la monarchie, ce festival apparaît comme un fourre-tout de revendications politiques, et d’autres événements, comme les festivals d’Essen et de Phun City, sont entièrement pensés comme des événements politiques. Toutefois, comme l’indique la Prof. Tamagne, l’analyse des réactions des publics dans la presse montre que la question politique n’est pas centrale pour les festivaliers, car ces derniers se préoccupent avant tout de la musique, et de l’expérience du festival, les plaçant dès lors dans une position plus apolitique, ce qui nuance cette problématique de la politisation des festivals.
Le dernier axe sur lequel repose l’intervention de Florence Tamagne s’appuie sur les réactions locales aux festivals, car celles-ci sont sources de nombreuses analyses pour l’historienne. De façon générale, les festivals sont perçus comme des troubles à l’ordre public et à la morale, et l’image de la « horde de barbares » revient régulièrement dans la presse, et ce dans les différents pays. La République fédérale et la France se distinguent toutefois dans les réactions des pouvoirs publics, car elles sont particulièrement sécuritaires. La Bavière interdit les festivals, tandis qu’en France, en particulier pendant l’été 1970, des nombreux arrêtés préfectoraux interdisent les festivals qui étaient prévus. La raison invoquée est souvent le risque d’incendie, mais il apparaît que les pouvoirs publics craignent surtout une « infiltration gauchiste » dans ces événements. A l’inverse, les commerçant locaux vont parfois soutenir ces événements, comme c’est le cas à Orange en 1976, puisqu’un festival peut se montrer lucratif pour les petits commerces, qui soutiennent son maintien à travers une pétition, malgré les craintes de débordement. La réaction britannique est particulièrement enrichissante pour l’historienne, puisqu’un comité de travail sur les festivals est créé, et ce dernier lance de nombreuses enquêtes et produit des rapports et des conseils, notamment un « code de conduite ». Les archives de ce comité, consultées par la Prof. Tamagne, sont une source particulièrement riche pour l’historien.
La question des sources a été particulièrement adressée par la suite lors des différentes discussions qui ont suivi la communication sur l’histoire des festivals « pop » et « rock », et a donné lieu à des débats pratiques et théoriques particulièrement intéressants. Nous remercions chaudement Florence Tamagne pour sa participation à ces échanges très instructifs, dont chacun des membres de Popkult60 a pu bénéficier. Nous la remercions également pour sa longue et passionnante communication sur l’histoire des festivals, qui a offert un exemple enrichissant pour nos discussions sur les tensions entre populaire et politique dans le cadre de notre groupe de recherche.
Richard Legay, C²DH